Vrai ou faux : « La salade à la crème vient du Saguenay–Lac-Saint-Jean »
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La salade à la crème est un classique qui ne compte que quatre ingrédients : laitue, oignons verts, crème et sel. Comme pour la poutine et Drummondville, les gens du Lac vous diront que c’est une invention de leur coin. Mais est-ce vraiment le cas?
Pourquoi faire une vinaigrette lorsqu’on peut simplement verser de la crème sur une frisée bien croquante? Les Saguenay-Jeannois l’ont bien compris. Ils se régalent de salade à la crème ou d’une version préparée avec un ingrédient que seuls les vrais de vrais connaissent : les « cailles ». Et on ne parle pas ici de volaille! Il s’agit plutôt d’un lait fermenté qui donne un petit goût surette à la salade, sans rien lui faire perdre de sa fraîcheur.
On peut en trouver maintenant un peu partout dans les épiceries de la province, notamment le Lait Nordique fermenté de Nutrinor, une laiterie d’Alma, et celui de la Laiterie de la Baie, à La Baie. Mais, pendant longtemps, il était impensable de trouver les fameuses cailles en dehors du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Est-ce la preuve irréfutable que la salade à la crème (fraîche ou caillée) est une invention de nos Bleuets adorés?
« Non », tranche l’historien Michel Lambert. Ce spécialiste de la gastronomie québécoise pourrait prêcher pour sa paroisse puisqu’il est lui-même natif d’Albanel, au nord du Lac-Saint-Jean. Comme pour beaucoup de gens de la région, la salade aux cailles a pour lui un goût de nostalgie. « Quand j’étais enfant, la salade à la crème, c’était un plat d’été. Mes grands-parents étaient producteurs laitiers. Je me souviens que ma grand-mère retournait la crème dans une baratte pour faire du beurre. Avec le petit lait, elle faisait des galettes. Le dimanche, mon grand-père allait pêcher du brochet ou du doré et on mangeait ça avec une salade aux cailles. Son petit côté acidulé va très bien avec le poisson. »
Il précise que ces salades crémeuses, on les trouvait pas mal sur toutes les tables du Québec. Alors pourquoi dit-on que c’est une spécialité du Saguenay–Lac-Saint-Jean, comme la soupe aux gourganes et la tourtière (ne nous lançons pas dans un autre débat!)? « Puisque cette région est éloignée des grands centres et des industries, on y a conservé les habitudes alimentaires les plus anciennes du Québec », explique-t-il simplement.
Des Vikings à notre table
Pour retracer les origines de la salade à la crème, Michel Lambert remonte pas mal loin… jusqu’aux Vikings, rien de moins! « Ces peuples germaniques ont été les premiers à avoir une industrie laitière. Ils étaient de grands amateurs de lait, de crème sure, de fromage blanc et de yogourt. C’est une tradition qu’on a héritée d’eux. »
L’historien raconte que les Normands – qui ont colonisé la Nouvelle-France – étaient des descendants des Vikings, tout comme les Britanniques, d’ailleurs. C’est pourquoi on partage avec eux cette tendance à mettre de la crème un peu partout : sur la laitue, les concombres et même le chou (pour nous, la crémeuse, c’est la vraie traditionnelle!).
Michel Lambert a une explication pour la saisonnalité de la salade à la crème. Bien avant les frigos (et même les laitiers), la plupart des gens élevaient leurs propres vaches, et c’est l’été qu’elles donnaient naissance à leurs veaux. Les familles se retrouvaient alors avec du lait et de la crème à ne plus savoir quoi en faire. D’où l’idée d’en mettre partout, même sur la laitue. « On conservait le lait dans l’endroit le plus frais, la chambre froide. Le surplus qu’on n’arrivait pas à boire surissait pendant toute la journée. C’est ce qu’on nommait “les cailles”. Mon grand-père, c’était son délice d’en manger pour dessert avec du sucre d’érable », raconte-t-il.
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut aujourd’hui se régaler de salade à la crème ou aux cailles sans devoir rouler jusqu’au Saguenay. Et pourquoi ne pas l’apprêter au goût du jour en ajoutant des graines de lin, des raisins, des avocats ou des noix? Ce ne sont pas les Vikings qui vont nous reprocher d’avoir changé la recette!